Icônes-Alain

Icônes réalisées par Alain Chenal

Contact : alain.chenalATlibertysurf.fr

Transfiguration de Jésus-Christ

Rappel des événements ( Mt. 17,1-9; Mc. 9,2-10; Lc. 9,28-36.)

Une semaine après la profession de foi de Pierre à Césarée de Philippe où celui-ci proclama que Jésus est le Christ de Dieu et non Elie ou un autre prophète, Jésus prit avec lui Pierre, Jean et son frère Jacques (fils de Zébédée) et gravit le Mont Thabor. Pendant que Jésus priait, Il leur apparut transfiguré, resplendissant de la lumière divine, avec à ses cotés les prophètes Moïse et Elie. Il s’entretenait avec eux de sa proche Passion qu’il allait vivre à Jérusalem.

Pierre dit à Jésus: « Qu’il est bon d’être ici avec Toi, Moïse et Elie: faisons trois tentes, une pour chacun. » Une nuée lumineuse les couvrit alors, et de la nuée une voix se fit entendre disant: « Celui-ci est Mon Fils bien-aimé, écoutez-le. » Les apôtres tombèrent face contre terre, mais Jésus, de nouveau seul avec eux, les redressa et leur enjoignit de ne révéler à personne ce qu’ils avaient vu, jusqu’après sa résurrection .

Constantes iconographiques et interprétation théologique de l’Icône de la Transfiguration

Dans les mosaïques du monastère de Sainte Catherine du Mont Sinaï ( VIe siècle) ou de Daphni en Grèce (XIe siècle), ou dans le petit tableau en mosaïque de Louvre ( icône grecque du XIIème) comme dans les fresques rupestres de la Capadoce et toutes les icônes byzantines jusqu’au XVe siècle, la scène de la Transfiguration a des caractéristiques remarquablement constantes, bien que chacune ait son propre éclairage du Mystère.

L’axe vertical de l’Icône et marqué par la figure centrale du Christ transfiguré. L’espace est divisé en deux : - le monde d’en haut où se détache dans une « mandorle » le Christ lumineux, Messie royal et prêtre souverain entouré de Moïse et d’Elie comme de deux « acolytes », témoins de l’ancienne Alliance, représentant la Loi (Moïse) et le Prophètes ( Elie) - le monde d’en bas où figurent les trois apôtres témoins privilégiés de la nouvelle Alliance. C’est les mêmes que ceux qui accompagnèrent Jésus au jardin de Gethsémani : . Pierre qui 6 jours auparavant, inspiré par le Père, a proclamé Jésus Fils de Dieu mais qui, par la suite, a essayé de dissuader Jésus d’aller à Jérusalem où sa mort est programmée. Dans la félicitée de sa vision, il veut s’y installer, célébrer une sorte de Fête des Tentes (la tente ou tabernacle : lieu de la présence de Dieu), espérant peut-être encore que Jésus pourra faire l’économie de sa Passion. . Jean, et son frère aîné Jacques (dit le Majeur), disciples de Saint Jean Baptiste et témoins du baptême du Christ . Nous voyons de suite le parallélisme entre les deux Théophanies (manifestations du Dieu Trinitaire): celle du Baptême du Christ où Jean le Baptiste désigne Jésus comme « Agneau de Dieu » et celle de la Transfiguration, ainsi que la relation avec la Passion et Résurrection du Christ dont Jésus entre tient Moïse et Elie.

La Transfiguration révèle et célèbre le dogme fondamental du christianisme qui sera au centre de l’Evangile de Jean apôtre et théologien : Jésus est vrai Dieu et vrai homme. La filiation divine de l’homme Jésus, 3 fois attestée par la Voix du Père ( au baptême, au Thabor et au Temple de Jérusalem avant la Passion) parait tellement incompatible avec les abaissements de Jésus se faisant baptiser comme un pécheur et crucifier comme un esclave criminel qu’il y a bien besoin de cette manifestation de Sa Nature divine qu’est la Transfiguration avant la "montée" fatale à Jérusalem.

Comme tous les événements religieux importants cela se passe sur une haute montagne, lieu de jonction de la terre et du ciel, lieu sacré, image du sommet et du centre du monde (pour le Thabor, on peut se référer à l’étymologie du mot Tabbur qui signifie en hébreux nombril ou l’omphalos grec!). C’est également sur la montagne (au Sinaï) que Dieu s’est manifesté à Moïse et à Elie, mais ici Moïse et Elie peuvent voir leur Dieu face à face sous la forme humaine. Moïse et Elie sont sur des montagnes en forme de pont car ils ont servi de passerelle entre les hommes et Dieu. « Le Thabor danse et se réjouit...lorsqu’il entend sortant de la nuée (à savoir l’Esprit Saint), le même témoignage de filiation que le Père adresse au Christ Donateur de Vie »(Homélie de St. Jean Damascène, VIIe siècle). En effet la Trinité est totalement présente avec la nuée lumineuse, la voix du Père et le Fils en gloire; toute l’icône a une structure trinitaire avec ses 3 montagnes, les 2x3 personnages, la triple nuée.

André de Crète (VIIIe siècle) souligne la mystique du chiffre 6 constitué du produit de la dualité de la création par la trinité divine (ou l’étoile de David à 6 branches), et évoque les 6 jours de la création, les 6 sens qui agissent en nous (5 sens + la parole), les 6 formes de la charité parfaite(Mt. 25,34-36). Théophane Césarée (XXIIe siècle) dans son homélie de la Transfiguration note que l’Univers est divisé en 3 : le ciel, la terre et les enfers : de la terre Jésus fait venir les 3 apôtres, du ciel Elie, des enfers (Limbes) Moïse. Grégoire Palamas de Thessalonique ajoute aux 6 personnages le Père et l’Esprit Saint et constate : « Ainsi donc les 6 sont 8...la grande vision de la lumière de la Transfiguration du Seigneur représente le mystère du 8e jour, c.a.d. celui du monde à venir... ». C’est peut-être pour cela que Luc précise : » Une fois arrivé le 8e jour... » Jean Damascène proclame: « Aujourd’hui c’est l’abîme de la lumière inaccessible. Aujourd’hui sur le mont Thabor l’effusion incirconscrite de l’éclat divin luit devant les apôtres. » C’est l’icône de la Gloire Pascale du Christ source de transfigurance pour les apôtres et le peuple de Dieu et pour tous ceux reliés à eux par la foi, en communion avec le cosmos entier lui aussi convié à la transfiguration au 8e jour.

Structure de l’Icône représentée.

L’icône ayant servi de modèle provient d’une iconostase du monastère Stavronikita du Mont Athos, datant d’environ 1556 et réalisée sous la direction de Théophane - Bathas de Crète. L’icône de la Transfiguration n’aurait pas été peinte par Théophane lui-même mais par son fils Siméon, selon Mr. Agapi Karakatsaris.

Toutes les caractéristiques et messages théologiques traditionnels précédemment décrits se retrouvent dans cette icône avec une force particulière. L’analyse de la structure géométrique que l’on peut y retrouver en est étonnamment révélatrice (voir figure 1).

Le centre théologique de l’icône se trouve sous le talon du pied droit du Christ. Par ce point ( o ) situé légèrement au dessus du centre géométrique, passe l’axe de symétrie vertical ( XX’ ) et l’axe horizontal (YY’ ) qui sépare le monde d’en haut du monde d’en bas.

Le monde d’en haut, divin, a pour centre ( C1 ) le cœur du Christ, situé au milieu du ½ axe OX, et le cercle de centre C1 et de rayon C1O est le cercle de base de l’icône.

Les diagonales remarquables passant par O et inclinées à 30° sur la verticale (ou 60° sur l’Horizontale ), coupent le cercle (C1O) en E et F qui sont aussi leur intersection avec la courbe du « ciel » ou nuée lumineuse qui a pour centre O et pour rayon OS ( S=Sommet )

Le triangle OEF est équilatéral et forme la base d’une étoile de David à 6 branches dont l’autre triangle équilatéral a pour base l’horizontale AB qui relie les deux sommets inférieurs du quadrilatère « courbe » du nimbe. Les rayons de ce quadrilatère courbe sont égaux au rayon du cercle de base C1.O. Les verticales passant par les sommets de ce quadrilatère et celles passant par E, F et O plus celles tangentes au cercle C1.O. coupent ce cercle en 12 points, sommets d’une double étoile de David à 12 branches.

Dans la moitié inférieure, le triangle équilatéral OGH est symétrique de OEF. On s’aperçoit que les trois apôtres épousent des directions parallèles aux deux diagonales de base EOH et GOF, et qu’ils s’appuient sur un horizontale tangente au cercle C’1.0. , symétrique de C1.O. Ces diagonales marquent la relation privilégiée entre Elie et Jacques, entre Moïse et Pierre, comme la verticale XX’ marque la relation privilégiée entre Jésus et Jean.

Quand au nimbe, son tracé géométrique est aussi très étonnant (voir figure 2) : - Le quadrilatère courbe ABCD a pour centre w intersection de ses diagonales. - Le deuxième quadrilatère QMNP a ses sommets Q et N sur l’horizontale passant par w et l’angle de ces sommets est droit. - Le cercle circonscrit au quadrilatère QMNP a pour centre T point situé sur le « rouleau » (parole de Dieu) dans la main du Christ - Le cercle extérieur du nimbe a aussi pour centre T et son rayon est OT.

Ces trois structures sont en relations étroites les unes avec les autres, harmonies subtiles de courbes et de droites, d’angles aux valeurs numériques remarquables ( 100°, 90°, 80°, 50°,40° ), qui ont sans doute une valeur symbolique. Ces figures peuvent évoquer l’essence trinitaire de la « Gloire » du Christ, le quadrilatère courbe ( que l’on retrouve fréquemment dans l’auréole du Père dans les icônes tardives) figurant la Gloire du Père et le nimbe circulaire figurant l’Esprit Saint.

Sur l’icône originale, la courbe du ciel délimite un fond rouge, repris sur toute la rangée des « icônes des fêtes » de l’iconostase. Cette courbe elliptique est un élément structurant important de l’icône : l’arc de cercle central a pour centre O et coupe les diagonales et le cercle de base en E et F. C’est pour quoi dans cette Icône isolée, cette courbe a été utilisée pour figurer la Nuée Lumineuse qui couvre la scène et ses personnages, avec les mêmes couleurs que celles de la « Gloire » trinitaire du Christ.

Sans vouloir prétendre que l'iconographe ait utilisé consciemment ces structures pour réaliser son icône, les correspondances géométriques, les symétries, les lignes de force dégagées par cette analyse structurale, non seulement montrent la rigueur de la composition qui donne tant de force à cette icône, mais facilitent la compréhension de son message propre, de l’éclairage particulier du mystère représenté.

Message de l’icône représentée

La contemplation de l’icône nous met en relation avec le mystère et les personnes représentées, et nous enseigne si notre oeil sait entrer dans « l’écoute », dans le « schéma Israël » du 1er commandement de la Loi.

Voici ce que j’ai « vu » en travaillant cette icône:

Elie et Moïse, personnages symétriques résument l’ancienne Alliance. Visionnaires de Dieu et prophètes, ils attestent l’authenticité du Messie. Les deux s’inclinent devant le Christ qui récapitule la Loi et les Prophètes, Lui le nouveau Moïse qui libèrera l'humanité de ses idoles et de l'esclavage du péché, Lui le nouvel Elie qui ouvre les cieux aux hommes et fait descendre sur eux l'Esprit de Feu, Lui, le seul maître et docteur, tenant le rouleau de la Parole de Dieu, de la nouvelle Alliance et bénissant en Grand Prêtre du Royaume de Dieu.

Les habits d’Elie et de Moïse sont de couleur complémentaire à celle qui leur sont habituellement attribuées dans les icônes, peut-être pour marquer par cette inversion, qu’ils appartiennent au monde d’en haut.

Elie, sacrificateur, est « homme de feu »; il a fait descendre le feu du ciel sur l’autel du mont Carmel. Moïse, le « sauvé des eaux », a fait jaillir l’eau du rocher dans le désert, il est « homme d’eau ». Elie représente les « vivant » ayant été enlevé au ciel dans un char de feu depuis le mont Hermon. Moïse représente les « morts » attendant le Messie dans les Limbes. Ils sont illuminés par la Gloire du Christ.

Les vêtements de Christ sont blancs "comme neige",couleur de la Vie en Dieu (robe du baptème). Ils sont peints sur l’or, illuminés de l’intérieur, ils couvrent sa divinité et nous la « découvrent » car Jésus est devenu lumière. Cette lumière rayonne sur toute la création, fait « danser » les montagnes et les plantes, illumine les 3 apôtres.

Les 3 apôtres, nouveaux témoins, sont complémentaires les uns des autres par leurs positions et par les couleurs de leurs vêtements et leurs fonctions. Ils représentent l’Homme créé à l’image trinitaire de Dieu et destiné à sa ressemblance par sa transfiguration en Christ par l'Esprit Saint.

Les parallèles suivants peuvent être faits entre les fonctions et les relations des trois apôtres:

Relation à Dieu : à travers les autres pour Pierre ; par la prière et la contemplation pour Jean ; par la célébration, la liturgie pour Jacques.

Type d’Amour : Amour fraternel, de l’homme pour l’homme pour Pierre ; Amour mystique de Dieu pour Jean ; Amour éclésial de Dieu pour Jacques ; passant par : le corps pour Pierre ; l’âme pour Jean ; l’esprit pour Jacques ;

s’exprimant par : la foi pour Pierre ; la charité (caritas) pour Jean ; l’espérance pour Jacques ;

en relation privilégiée avec le Père pour Pierre ; le Fils pour Jean ; l’Esprit Saint pour Jacques .

Fonction principale : Pierre : Homme d’action, organisateur,  Roi  ; Jean : contemplatif, mystique, prophète ; Jacques : martyre, liturge, prêtre.

Les positions et couleurs des 3 apôtres traduisent ces fonctions et relations : - Pierre a bien les pieds sur terre et une attitude dynamique, ses vêtements ont des plis à dominante horizontale, leurs couleurs sont: bleue ( foi, eau) pour la tunique et jaune (terre, dynamisme) pour le manteau. Il est en relation linéaire avec Moïse, son homologue de l’ancienne alliance dont il reprend la vocation de conducteur et de rassembleur du peuple de Dieu. Il privilégie sa relation à Dieu à travers les autres dans l'amour fraternel et le service.Il désigne le christ comme Messie. En homme pragmatique il propose de monter 3 tentes car il voudrait demeurer en cette présence divine, espérant peut-être encore que Jésus puisse éviter sa Passion. - Les deux frères, Jean et Jacques, "les pieds au ciel", sont symétriques ( à 30°) par rapport à la verticale. La plante de leurs pieds, lieu d’information, du contact, est tournée vers le ciel, vers la lumière du Christ. Ils sont « retournés » (convertis): ils expriment deux fonctions ou attitudes religieuses complémentaires: - Jean: la communion à Dieu au fond de lui-même, prière contemplative l'amour mystique, l'abandon à l’Amour de Dieu qui l’envahit (plis de son manteau rouge). Sa relation intime avec Dieu lui confère un rôle de prophète (Apocalypse). - Jacques: la prière liturgique du sacrificateur( qui rend sacré), du célébrant, du prêtre qui le premier a « bu le calice » du martyre (Act.12.2). Il célèbre la création et rend grâces avec tout le cosmos dans l’espérance eschatologique du 8ème Jour (plis de son manteau vert). Il est en relation avec Elie et par lui avec St. Jean le Baptiste, nouvel Elie dont il a été le disciple avec son frère. L’auteur de l’icône du Mont Athos n’a ni nommé ni « auréolé » les 3 apôtres, contrairement aux règles iconographiques et ce n’est sans doute pas par hasard, ni par oubli. Est-ce pour marquer plus leur « non-accomplissement »(ils n’ont pas encore reçu l’Esprit Saint) ou pour figurer par eux l’Homme trinitaire (corps, âme, esprit) en « transfigurance » ? Est-ce pour montrer la nécessaire complémentarité unifiante des trois voies de sanctification, les 3 "trépieds" du chrétien accompli: - l’amour fraternel et le service, - la prière personnelle, et l’amour mystique - la célébration ecclésiale, la consécration du monde, et l'action de grâce collective voies de cette transfiguration à laquelle nous sommes tous appelés

Alain, juillet 1991

Vers haut de page