Icônes-Alain

Icônes réalisées par Alain Chenal

Contact : alain.chenalATlibertysurf.fr

Présentation de l'icône de « l’Hospitalité d’Abraham » et méditation.

1. Histoire

Parmi les nombreuses icônes de l’Hospitalité d’Abraham, celle de Andreï Roublov est la plus célèbre. Réalisée aux environs de 1422 en Russie pour le monastère de la Sainte Trinité, elle est exposée au musée Tetriakov de Moscou. Elle est considérée par les orthodoxes comme la seule manière de représenter le mystère de la sainte Trinité, Dieu Un en trois Personnes, car l’image de Dieu ne peut être que celle de Jésus-Christ, incarnation du Fils. L’icône que j’ai utilisée ici comme modèle n’est pas celle de Roublov mais une icône byzantine du milieu du 16ème siècle exposée au musée byzantin d’Athènes. Abraham et Sara y figurent, offrant des plats à leurs hôtes, les 3 anges pèlerins (Voir le récit de cette scène dans Genèse 18 ; 1-10). Dieu avait promis au couple une descendance nombreuse; or les voilà vieux et Sara toujours stérile quand surviennent ces étranges visiteurs dans lesquels Abraham reconnaît des messagers de Dieu. Ils vont en effet promettre à Sara (c'est déjà une "Annonciation") que dans un an elle aura enfanté un fils, Isaac. C’est cette annonce de ce don du « Fils » qui m’a paru centrale dans cette icône byzantine : elle est moins « spirituelle », moins « épurée » que celle de Roublov empreinte de la terre slave, mais plus vigoureuse, plus incarnée, plus « méditerranéenne ».

La symbolique de cette icône se déploie dans 3 « temps » , 3 niveaux de « l’histoire du salut de l’Humanité » :

- le temps d’Abraham père des croyants avec la promesse d’un fils donné à Sara la stérile ;

- le temps de Jésus, Dieu incarné en la vierge Marie par l’Esprit Saint;

- le Temps eschatologique, transcendant le temps et l’espace, celui de l’Eglise, « Corps du Christ » constitué de ses membres, temples de l’Esprit Saint et nourris par son corps et son sang dans l’Eucharistie.

2. Le mystère de la Sainte Trinité.

Ce mystère est celui de l’Amour trinitaire de Dieu et de son projet de sauver l’Humanité déchue et détournée de Dieu, par le don de son Fils préfiguré par le don d’Isaac à Sara et Abraham et poursuivi par Jésus qui fait don de sa vie sur la croix et se donne en nourriture aux hommes pour qu’ils accèdent par Lui à la vie éternelle, dans le cercle de l’Amour trinitaire. L’icône essaye d'évoquer ce moment du mystérieux colloque intime de la Trinité où Elle décide de sauver l’homme détourné de Dieu, de capter le chant silencieux de ce trio d’Amour tout en échanges de regards et d’attitudes, où le Silence décide de devenir Parole, le Verbe de Dieu.

3. Les 3 anges.

Au premier niveau, Abraham accueille 3 « étranges pèlerins ». Philoxenia, le nom en grec de l’icône peut se traduire d’après le père Daniel Ange par : « l’accueil qui de l’étranger fait un ami » ! Abraham et Sara « se mettent en quatre » pour recevoir ces messagers de Dieu : ils ont en effet les attributs des anges-messagers: les ailes, le diadème et le bâton. L’un porte sur l’épaule le « claviculum » romain signe de mission impériale chez les romains. Ils ont pris corps humain, aux visages fins , non marqués sexuellement, d’une grande dignité à la fois semblables et différenciés. Leurs ailes forment comme une iconostase protégeant le « choeur harmonieux de leur intimité divine.

Leur rôle, leur relation directe aux 3 personnes de la Trinité fait l’objet d’interprêtations divergentes. En ce qui concerne l’icône de Roublov 3 points de vue sont dignes de considération :

- Celui d’Evdokimov spécialiste orthodoxe de l’iconographie qui relie le Père à l’ange du milieu, le Fils à celui à la droite du Père, donc à notre gauche et l’Esprit Saint à celui à droite de la table.

- Le père Daniel Ange dans une magnifique méditation poëtique (voir son livre « L’étreint de feu ») voit le Fils au milieu et le père à gauche sur l’icône.

- Nicolaï Greschny, grand iconographe contemporain français d’origine russe, se basant sur sa tradition familiale de « vieux croyants » orthodoxes relie l’ange du centre au Père, celui de gauche à l’Esprit Saint, celui de droite au Christ.

L’étude de mon modèle grec et l’interprétation contemplative de l’icône m’ont amené à considérer que c’est la 3ème hypothèse la plus « parlante » pour cette icône. Mais cette question est secondaire par rapport à la représentation du mystère de l’icône, celle de la communion d’amour qui s’exprime par la structure de l’icône, les attitudes et les couleurs. Cependant par commodité de langage et sans prétendre à une véritable identification, je désignerai comme Greschny, l’ange central par « le Père », celui de gauche par « l’Esprit Saint » et celui de droite par « le Fils ».

4. La structure de l’icône.

Le dessin de l'icône permet de dégager des éléments géométriques la structurant et orientant sa lecture symbolique. Cette structure n'est cependant pas imposée à l'icône avec une rigueur géométrique, ce qui lui ôterait toute vie, mais elle la renforce et précise son sens.

Le centre "iconographique" de l’icône est la coupe posée sur la table par laquelle passe l’axe vertical qui traverse la tête et la main droite du Père. Les axes des anges de gauche et de droite sont symétriques. Les sommets des 3 têtes forment un triangle isocèle (avec des angles de 30° à la base) dont les médiatrices déterminent le centre d'un cercle qui relie les 3 anges. Ce cercle coupe les 3 axes verticaux des corps des anges en 3 autres points qui forment un 2ème triangle symétrique. Un troisième triangle est formé par l'horizontale passant par le centre du cercle (situé dans le "hara", les entrailles du Père) et la coupe. Ces axes et triangles peuvent évoquer "l'arbre des sephiroth" de la tradition kabalistique qui symbolise les "attributs", les énergies manifestées de Dieu.

Les yeux des 3 anges sont dirigés de sorte que le Père regarde l’Esprit, qui regarde le Fils. Celui-ci regarde la table et sa coupe. Sara regarde l’Esprit et Abraham la table et le Fils. Un cercle concentrique au premier enveloppe Abraham et Sara.. Ces cercles et les regards donnent le sens des relations entre les personnes. Les bâtons du Père et du Fils se rejoignent virtuellement sur le pied du Christ, tandis que celui de l’Esprit est dirigé vers Abraham et le bâtiment, ces directions indiquent des relations privilégiées.

4. Les couleurs

Le couleurs des habits des personnes peuvent être interprétées de la manière suivante: Le Père qui préside le repas est revêtu d’un manteau bleu foncé sur une tunique rouge pourpre comme les empereurs byzantins. L’Esprit a une tunique bleue marquant sa nature divine et un manteau vert exprimant son énergie vitale, agissante et créative, sa force spirituelle. Le Fils porte ses couleurs traditionnelles mais dans l’ordre inversé : il a recouvert sa divinité (tunique bleue) par son humanité (manteau rouge comme le sang, l'amour, le martyre) . Abraham est vêtu d’un manteau rouge violacé sombre comme un prêtre sacrificateur et Sara est couverte d’un manteau rouge vif signe de l’Esprit d’Amour qui va la rendre féconde. La table quadrangulaire, symbole de la création, est d’un ocre lumineux attirant les regards sur la coupe. Dans les icônes traditionnelles, dans cette coupe est en général figurée une tête de veau faisant allusion au sacrifice du veau gras pour le repas mais aussi en renvois aux sacrifices d’Isaac et du Christ. Nicolaï Greschny, se référant à sa tradition familiale voit dans la dernière couche de l’icône de Roublov après restauration, la figuration de la Sainte Face du Christ. L’idée de sacrifice et de repas eucharistique est ici simplement suggérée par la couleur pourpre sur fond d’or.

5. Les attitudes

Bien que le Père regarde l’Esprit comme pour lui demander quelque chose, tout son corps est tourné vers le Fils et sa main bénit la coupe signe du sacrifice de son Christ. L’Esprit Saint est assis bien droit et dans les lignes de ses vêtements dominent les droites, son bras et sa main droite sont tendus vers le Fils et la coupe. Les lumières de ses habits sont éclatantes : Il est l'énergie divine agissante. Le fils incline la tête en signe d’acquiescement et son corps est tout en courbes de réceptivité. Sa main frôle dangereusement la coupe dans un geste d’abandon. Abraham et Sara, par leur coupe d’offrande entrent dans le cercle divin des anges et s’inclinent respectueusement devant eux.

6. Les autres éléments

La table rectangulaire est comme un autel, de ces autels romains des premiers siècles avec une ouverture sur le devant où l’on déposait les reliques protégées par une grille des atteintes des fidèles. La table et son ouverture « pénètrent » la personne du Fils, montrant sa relation avec la création et l’humanité. Il a les pieds sur un escabeau signe de sa royauté. Les montagnes-rochers dans leur représentation traditionnelle sont transfigurées et dansent de joie. Les 2 arbres s’inclinent aussi devant l’annonce de l’œuvre du salut qui concerne toute la création. La construction, à la verticale de l’Esprit, sorte de maison-église couverte du voile rouge de l’Esprit Saint symbolise l’Eglise constituée par les hommes sauvés par le Christ et devenus temples de l’Esprit Saint.

7. Le « Colloque divin »

De l’icône émane une impression d’intense relation d’amour, d'accueil et de respect réciproque, d’écoute et de communion dans une sérénité grave. Ils parlent de "L’œuvre du salut de l’Humanité" : le maître d’ouvrage, commanditaire et responsable est le Père ; il commande l’œuvre au concepteur et maître d’œuvre : l’Esprit ; le Fils est l’entrepreneur : Il sera « l’Emmanuel », Dieu parmi les hommes, l’agneau du sacrifice réconciliant l’homme avec Dieu, le libérant du péché par sa Passion et résurrection et l’invitant à la table du festin divin, à cette place vide devant, en face du Père. Ainsi, cette icône commentant une simple scène de l’ancien testament est, à travers l’annonce du fils promis et tant espéré par Abraham, fondamentalement l’icône du triple Don de Dieu :

- Don du Fils Jésus à l’humanité par Marie à Noël, et à chacun de nous aujourd'hui,

- Don de la vie de Jésus à Pâques à travers sa passion et résurrection perpétuée par l’eucharistie, pour nous libérer du péché et nous donner la vraie Vie,

- Don de l’Esprit Saint à l’Eglise à la Pentecôte pour permettre la divinisation de l’homme et l’admettre à la table du Royaume de l’Amour.

« Source est le Père, Don est le Fils, Communion est l’Esprit ; Très sainte Trinité nous t’adorons » (Hymne byzantin)

Alain, janvier 2005

« En contemplant cette icône, soyons dans l’attente de ces Dons et dans la joie d'entrer par nos dons et notre "hospitalité" dans le cercle d'Amour trinitaire. »

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